Journées d'étude Ignace Meyerson à Toulouse (1940-1951) : hommage et perspectives

Meyerson

Les 23 et 24 novembre à l'université Toulouse Jean Jaurès

La psychologie historique (Meyerson, 1948, 1987, 2000) constitue une œuvre majeure des sciences sociales et humaines du XXe siècle (Parot, 1996 ; Fruteau de Laclos, 2007 ; Pizarroso Lopez, 2018 ; Baubion-Broye, 2019a). En mettant à jour la dimension culturelle des fonctions psychologiques, en proposant d’analyser méthodiquement leurs genèses et transformations successives par l’examen approfondi des œuvres, Ignace Meyerson s’est démarqué d’une lecture expérimentale des faits humains. Et n’a jamais cessé de promouvoir la nécessité d’une approche pluridisciplinaire de leur étude, comme l’attestent ses collaborations régulières avec des linguistes, historiens, sociologues et artistes. A l’occasion des 40 ans de sa disparition (1888-1983), nous souhaitons lui rendre hommage dans une ville, Toulouse, où il vécut une période particulièrement intense de son existence (Baubion-Broye, 2019b), marquée par la poursuite de son activité intellectuelle malgré son éviction de l’université, du fait des lois raciales de Vichy, mais aussi par son engagement dans la résistance aux côtés de son fidèle collaborateur et ami, Jean-Pierre Vernant.


 

Ces journées d’étude seront organisées autour de trois axes principaux.


 

Le premier s’attachera à faire connaitre le travail scientifique de Meyerson en se centrant sur la période toulousaine de son existence, entre 1940 et 1951. Dans le contexte politique de ces années noires, l’université toulousaine sert de refuge à de nombreuses figures universitaires, contraintes de quitter la zone occupée. Face à l’adversité du régime vichyste, et alors qu’il se trouve fragilisé sur un plan personnel (Vernant, 1996), Ignace Meyerson va fonder la Société d’études psychologiques de Toulouse et initier une dynamique de travail permettant de poursuivre son activité et des collaborations fructueuses avec des chercheurs de différentes disciplines (Vladimir Jankélévitch, Georges Friedman, Raymond Naves, Daniel Faucher), mais aussi avec l’Institut catholique, Bruno de Solages participant régulièrement aux réunions de la Société d’études psychologiques. Le colloque « Travail et Techniques », organisé le 23 juin 1941 à l’université de Toulouse, est particulièrement significatif de cette dynamique de travail et de l’esprit qui anime Meyerson. Cette rencontre peut être considérée comme « un acte de résistance des sciences sociales républicaines », selon les mots de Gouarné (Gouarné, 2019, p.13). Dans le cadre de cette journée d’étude, nous prêterons une attention toute particulière à ce colloque, à son contenu, mais aussi aux conditions difficiles dans lesquelles il a été organisé. Au-delà, nous voudrions mettre en évidence les engagements multiples d’Ignace Meyerson au cours de cette période, comme savant et comme citoyen, dans un moment où « l’engagement culturel et l’engagement civil se soudaient dans une profonde tension morale » (Di Donato, 1995, p. 240).
 

Le second axe s’intéressera à la manière dont le travail d’Ignace Meyerson a pu trouver un prolongement dans la psychologie universitaire toulousaine par l’intermédiaire de Philippe Malrieu. Ce dernier peut être considéré comme l’un de ses principaux héritiers (Artemenko, 1979 ; Di Donato, 1995 ; Pizarroso Lopez, 2018 ; Baubion-Broye, Dupuy et Prêteur, 2013). Lorsque Meyerson quitte Toulouse, au début des années 1950, il désigne Malrieu pour assurer sa succession. Celui-ci s’emploiera alors, sur plusieurs décennies, à structurer l’enseignement et la recherche en psychologie au sein l’université toulousaine (Baubion-Broye, 2019b ; Vaysse, 2007). Au-delà de l’aspect institutionnel de cette succession, c’est l’affiliation intellectuelle que nous souhaiterions mettre en évidence. En premier lieu en examinant certains écrits dans lesquels Philipe Malrieu explicite les apports de la psychologie historique, à la psychologie de manière générale, et plus particulièrement à la psychologie sociale du développement telle qu’il va la concevoir et la développer au sein du laboratoire toulousain « Personnalisation et Changements Sociaux » (Malrieu, 1972, 1974, 1978, 1983, 1996). En second lieu, et de manière complémentaire, cette affiliation intellectuelle nous semble pouvoir être examinée à la lumière de la correspondance que les deux hommes ont entretenue pendant plus de 30 ans.
 

Enfin, le troisième axe visera à montrer la pertinence que peut revêtir la psychologie historique dans le champ des sciences sociales et humaines pour discuter de travaux contemporains et ouvrir des perspectives de recherche. Nous concevons cette journée d’étude comme un point de départ à des collaborations futures entre chercheurs issus de différentes disciplines universitaires. Trois champs ont été identifiés.
 

  • Le premier concerne le travail. Thème d’étude privilégié de Meyerson, le travail est l’objet de plusieurs textes importants : Le travail : une conduite (1941) ; Comportement, travail, expérience, œuvre (1951) ; Le travail, fonction psychologique (1955). Meyerson y définit le travail comme conduite humaine et examine ses fonctions sociale et psychologique (Fernandez-Zoïla, 1996). Fidèle à sa méthode d’investigation, il montre comment la notion de travail, apparue assez tardivement dans l’histoire, a profondément transformé le rapport humain aux activités organisées (agriculture, artisanat, etc.). Alors que le travail connait aujourd’hui des bouleversements majeurs, tant sur le plan de ses objets que de ses conditions, la perspective historique offerte par Meyerson apparaît précieuse pour décrypter ces bouleversements et leurs effets.
  • Le second champ touche à l’éducation. Si celui-ci n’a jamais été investi scientifiquement par Meyerson, les méthodes dont s’est dotée la psychologie historique pour étudier la genèse et les transformations des fonctions psychologiques nous semblent précieuses pour appréhender les faits éducatifs et les expériences qui s’y rapportent. Rare sont les chercheurs en éducation qui se réclament de Meyerson. On peut citer les travaux de Broussal sur les œuvres et leur fonction émancipatrice (Broussal, 2018). Au-delà, en nous situant dans l’approche pluridisciplinaire des Sciences de l’Education et de la Formation, nous souhaiterions ainsi confronter la pensée meyersonienne à des travaux contemporains qui se sont saisis d’une approche historique pour apporter des éclairages sur les continuités et discontinuités affectant l’expérience et les pratiques éducatives. Nous pensons, à titre d’exemple, aux travaux de Prairat sur la punition, de Veyrunes sur le cours dialogué ou encore de Mazereau sur le traitement des difficultés scolaires. Nous souhaiterions, à partir de cette mise en perspective, initier une réflexion méthodologique sur la manière dont l’analyse des pratiques éducatives peut s’enrichir d’une étude historique et pluridisciplinaire d’œuvres pédagogiques situées dans différentes temporalités et susceptibles de conserver les traces d’expériences associées à ces pratiques.
  • Enfin, le troisième champ touche à la contribution originale de Meyerson à une psychologie culturelle telle que l’avait dessiné Bruner (1991, 1996), dans le prolongement des travaux de Vygotski. Bien qu’ils ne semblent jamais s’être côtoyés ni avoir eu connaissance de leurs travaux respectifs, la proximité intellectuelle des deux psychologues est frappante, tant sur un plan épistémologique que dans leur intérêt commun pour l’art et leur ouverture vers d’autres disciplines pour penser l’étude des faits psychologiques. La journée d’étude pourrait ainsi marquer le démarrage d’une étude comparée de ces deux grandes œuvres scientifiques et de leur contribution à une psychologie culturelle.